Création des décors pour « Sin Arrimo y con Arrimo », 1996

Cloître des Dames Blanches

La Rochelle 1997

par François Raffinot

Trois phrases en forme de tryptique pour Agnès Lévy

Catalogue

Notre rencontre s’est faite par les images du corps, par la volonté de s’en tenir à ça, s’en tenir au corps non plus sujet ou objet, mais au corps comme terrain ou plutôt comme terreau par lequel et sur lequel se fixe la peinture, et puis, au moment où toutes les images s’effondrent sous leurs propres poids, au corps dans ce trou noir du monde comme dernière lumière dans un ciel éteint, dernier survivant d’une civilisation qui voudrait tout faire disparaître, à l’intérieur des camps ou sous les bombes, s’en tenir à ça parce qu’au fond le corps est une enveloppe de réflexion du monde, miroir et pensée et parce que pour Agnès Lévy, peindre le corps est le plus sûr moyen de parler du rapport de sa propre consistance avec la raideur de nos civilisations, le meilleur moyen de tester sa résistance avec le cannibalisme de nos propres sociétés, mais aussi pour dire en silence quelque chose de son propre silence, pour nous souffler quelque chose de son propre désarmement face au monde, s’en tenir au corps comme dernière trace de l’esprit, tenir au corps comme à la prunelle de nos restes de regard, s’en tenir à l’esprit du corps s’en tenir à ça.

Agnès Lévy est non seulement convaincue que le corps ne ment pas, mais est aussi convaincue qu’il lui inspire cette confiance uniquement dans la mesure où elle n’y voit aucune marque d’innocence et qu’au contraire le corps manifeste souvent par la peau qu’il sait, qu’il connaît ou reconnaît, qu’il s’échappe malgré lui les signes de ce qu’on sent et finalement les raisons profondes de ce qui nous pousse à penser singulièrement ou à agir comme on le fait, seulement dans la mesure où le support de cette vérité qui s’exprime pour peu qu’on veuille bien s’attacher au corps, s’attarder sur ses os ou sur ses organes, dans la mesure où ce support étant éphémère et fragile détient une vérité absolument fragile et éphémère (la peau, haute cîme des Pyrénées, déterminant l’au-delà ou l’en-deçà de cette vérité), relativité d’une vérité flottante s’opposant aux dogmes qui voudraient voir une autre vie après la putréfaction du corps, non, non, trois fois hélas, les tableaux d’Agnès Lévy sont là pour nous le rappeler dans une sorte de vanité inversée, non, non, la vie est digne d’être vécue, le corps le répète sur tous les tons, bleus, jaunes, rouges et noirs, s’en tenir à ça.

Le corps comme passage obligé mais avec la conviction qu’une fois le passage franchi n’importe quelles images ont trait au corps, des plus lointaines aux plus proches, d’un crâne d’antilope aux coulures jaunes griffées d’un noir charbonneux, car qu’est-ce que le corps au fond, soixante-dix pour cent d’eaux terreuses qui tiennent plus ou moins debout, un lavis bourbeux, en fin de compte, en poursuivant l’idée vieille comme Lascaux que la peinture rend la chair intarissable, que le geste et les outils du peintre sont intarissables et disent interminablement le corps, transpirentle corps, même si les images engendrées, empoignées par le corps débouchent sur tout à fait autre chose, un crâne d’antilope ou du jaune c’est toujours du sang avec de la Vie au bout d’un pinceau intarissable, toujours ce perpétuel rebondissement des choses, toujours uniquement cette obsession de la vie évidemment, tout en sachant qu’en peignant le corps des autres, des corps d’hommes essentiellement, des corps noirs souvent, des os blancs ou de simples explosions de couleurs, bleus, jaunes, rouges et noirs, Agnès ne s’en tient qu’à elle même.

François Raffinot