Notes de travail autour du corps
J’ai commencé à travailler autour du corps avec et par la couleur. J’ai choisi des modèles masculins assis puis relevés, dénudés ensuite puis sans tête et sans membres. Car c’est le corps qui est prétexte à peindre, je ne traite pas la tête qui est un autre sujet. C’est au regardeur de la transcrire.
Après une longue période de grands formats, hommes seuls ou en duo et trio au pastel sec sur papier de couleur chaude puis sur fond rouge, sont venues des séries de torses très colorés réalisés sur toile, au pastel ou à l’huile.
Mon regard se recentrant sur le torse, j’ai cherché à traduire son intériorité. Il est alors devenu plus dramatique, plus violent et a occupé tout l’espace du format.
Plus tard, après les immenses toiles conçues pour les chorégraphies de François Raffinot, j’ai repris ce sujet en utilisant des matériaux qui avaient eu une vie avant l’atelier, bâches rouge passé ou draps lavés riches d’une souplesse à fleur de peau, peints avec des pigments de couleur chair sur lesquels j’ai réalisé un ensemble de dessins noirs au fusain.
J’avais choisi mes modèles parmi les danseurs. Ils ont un sens aigu de leur présence dans l’espace, ce qui leur permet de situer le vif du sujet, et c’est important pour moi parce qu’il y a toute une histoire liée à la danse qui me parle beaucoup. Travailler longtemps avec un même danseur a été extrêmement stimulant. Il avait par exemple une manière de se renverser au sol qui rendait le corps moins lisible.
A la suite d’une nouvelle série de grands formats à l’huile sur toile intitulée « Deux corps » toujours en présence du modèle, sont venus les derniers dessins et collages de torses noirs à l’huile et à l’encre de Chine sur papier coréen.
Travailler avec un modèle, cela veut dire un autre corps dans l’atelier et cela provoque en moi une sorte d’urgence à peindre. Là je peux être dans la passion, dans la sauvagerie et en dire trop. La main va plus vite que la tête mais au fur et à mesure que je travaille se produit une sorte de bascule. Mon désir est que ce débordement d’énergie s’amenuise, que cela devienne très ténu.
J’ai peint ainsi plusieurs séries car c’est avec ou contre une autre peinture que j’ai besoin de construire la suivante jusqu’à épuisement du sujet, sans que cela signifie amélioration ou achèvement. Ces torses devenus presque blasons marquent jusqu’à aujourd’hui la fin de mon travail prenant comme sujet le corps humain.
Agnès Lévy, octobre 2021