Allée de palmiers, 2017
Allée de palmiers, 2017

Reid Hall / Tschann Libraire, Paris 2018

Entretien avec Anne Thirriot

Catalogue

Parle-moi de ta prochaine exposition. Quelles oeuvres vas-tu présenter ?
J’ai décidé d’associer plusieurs périodes. Les allées de palmiers, qui est le travail le plus récent, commencé en août 2016 et terminé, pour l’instant : un même paysage, à différentes saisons, réalisé in situ. J’y associe des monotypes, réalisés à partir de bûches, issus d’arbres de ce même paysage. Et également des carnets Leporello, carnets à plis, sur lesquels j’ai travaillé à l’huile pendant plusieurs années à partir de 2010, sur des plantes de la famille des cactées, des pachypodium, et toutes sortes d’autres plantes succulentes.

Cela représente-t-il l’évolution de ton travail sur sept ans à partir de 2010 ?
Quand j’ai arrêté le travail sur le corps proprement dit (avec un modèle vivant, dans l’atelier), j’ai enchaîné sur les carnets. Et bien que mon attention se soit portée sur des cactus – des espèces de rochers -, je les ai traités de façon très corporelle, comme l’intérieur du corps. Ainsi on peut y voir des organes, un coeur humain… Très colorés, en tout cas. C’est un travail sur la couleur. Ce qui m’intéressait, c’est le caractère très sculptural, nerveux, noueux, de ces cactées, surtout les pachydermes. J’ai commencé alors à faire un travail sériel, sur ces carnets qui se déroulaient, un peu comme Eadweard Muybridge, le cactus dans toutes ses phases, toutes ses formes, à l’intérieur, à l’extérieur, de profil, de trois-quart… comme des mouvements, des grandes séries, sur des grandes bandes. J’ai fait ainsi une trentaine de carnets, des carnets Leporello de toutes les tailles, entre 2010 et 2014. Puis je suis arrivée aux troncs d’arbres, des gros plans sur ces troncs. C’est un corps végétal. J’ai fait ainsi toute une série. Et après avoir fait le tour des fleurs et des troncs, je me suis dit qu’il fallait que ma vision s’élargisse.

Mais, quand tu as travaillé sur les troncs, tu as utilisé un matériau différent ?
Oui. J’ai appris une nouvelle technique dans un atelier de gravure, le monotype. En travaillant toujours avec le motif devant moi, différentes bûches, de différentes essences. Ça m’intéressait d’explorer un autre matériau. J’adore les multiples, l’estampe, j’avais déjà fait des lithos, de la sérigraphie aussi. Le monotype, c’est assez génial car très immédiat, tu travailles dans l’urgence, et c’est en même temps très pictural. J’ai donc saisi ce motif par l’intermédiaire de cette technique. Et à chaque fois que tu découvres une technique, tu l’explores, ça t’amène à d’autres choses.

Et entre les bûches et les paysages ?
J’ai fait une série de dahlias. D’abord dans des carnets, à l’encre de Chine, à l’aquarelle japonaise, et ensuite une série en monotypes. Curieusement, ces dahlias s’appellent « dahlias cactus ». C’est particulièrement cette forme-là qui m’intéressait, ce côté un peu nerveux, vivant, dansant.
Et à force de travailler sur l’arbre, dans ce lieu que j’aime énormément, très inspirant, qui est Marcillé – un parc somptueux, à la fois très construit et très créatif -, je me disais « comment se fait-il que je fasse des gros plans, les hortensias, les dahlias, les troncs ?… Il faut que j’élargisse ma vision. ». Depuis dix ans que je vais à Marcillé, cette question me travaillait, « comment aborder le paysage ? », ou une partie du paysage. Parce que la question du paysage est très intéressante, comme la question du corps, c’est extrêmement vaste. Et à force de fréquenter le lieu, d’y travailler, tu deviens Marcillé, comme tu deviens un dahlia, un tronc… Et j’ai choisi une allée de palmiers.

Qu’est-ce qui t’intéressait dans ce paysage-là ?
Le palmier, qui encore une fois n’est pas étranger à ces formes végétales que j’aime. Il est vert toute l’année, même s’il a des saisons (des fruits, ou des fleurs), il a une structure qui résiste aux intempéries. Et cet alignement, et la façon dont ces palmiers étaient implantés dans le sol, un sol formidable que je pouvais explorer à fond. Un sol terreux, mais feuillu, avec de la matière, des feuilles mortes, des branchages, des bogues de châtaigniers… Coloré, et animé ! Ce qui m’avait frappé en commençant à travailler à l’été 2016, c’est que ce paysage était très cadré. À gauche, cette allée de dix palmiers, et à droite, le début des châtaigniers… Et derrière eux, des hortensias, eux-même changeant selon les saisons. Le soleil frappait dans les palmes, ça faisait des traces très marquées sur le sol… C’était extraordinaire, un paysage très contrasté.

Donc là pour le coup, il y avait l’intervention de la lumière.
Tout à fait. C’est pour ça que j’ai noté les heures, les mois, et les saisons. La lumière est très importante dans mon travail, parce qu’elle me donne la couleur. Ce sont d’abord les ombres portées sur le sol qui m’ont attirée. Ces contrastes, avec la verticalité des palmiers. Au début, je ne m’intéressais qu’aux troncs des palmiers, aux stipes. Puis je me suis attachée à l’alignement, la verticalité des troncs, et toute l’animation du soleil sur le sol. Et petit à petit, ton regard s’élargit, tu regardes le ciel, les hortensias derrière les palmiers, les ramifications des palmes, les branches… Et puis tu trouves une écriture, et le champ s’élargit, te permet d’aller plus loin, de trouver des choses que tu ne soupçonnais pas.

Tu travaillais toujours à partir d’un même emplacement ?
Oui, plus ou moins. En hiver, je pouvais être un peu à l’intérieur de la serre, les portes ouvertes sur le paysage ; l’été, complètement dans l’allée, mais avec le recul nécessaire pour voir les dix palmiers, ou parfois plus rapprochée, pour des gros plans. Mais toujours le même point de vue. Ce qui m’intéresse, ce sont les saisons, le temps, la météo. Tu ne travailles pas du tout de la même manière en hiver ou en été. Ce ne sont pas les mêmes lumières, donc pas les mêmes couleurs, pas le même graphisme, et le matériau lui-même change. Et plus tu travailles, plus ton graphisme, ta touche, changent, ta vision se complexifie, s’enrichit. Dans le travail sériel, ce n’est jamais la même chose, contrairement à ce que l’on peut penser.

Ce qui est frappant dans ton travail, c’est l’importance de la couleur.
La couleur me vient immédiatement, elle ne se pose pas. C’est un truc sauvage ! Elle fait partie de moi. L’association des couleurs est une évidence, je n’y pense même pas. J’ai utilisé les pastels secs pour commencer, pendant très longtemps, sur des grands formats, des pastels gras et des sticks à l’huile aussi, puis j’ai introduit le pinceau. C’est plus sophistiqué, car tu as un intermédiaire entre tes doigts et le médium. C’est moins sauvage, un peu plus… civilisé. Il y a aussi une douceur qui vient avec le pinceau. Les derniers travaux sont à l’aquarelle japonaise. C’est une aquarelle très intense, plus transparente que la gouache mais avec ce côté très couvrant, et au pigment très intense, très fort en couleur… et très adapté à la lumière qui change tout le temps, au sujet sur le vif à l’extérieur. Les godets te permettent de travailler dans l’urgence. Tu es dehors, et hop !, tac tac, ça va vite, ça fonce ! La lumière change vite, d’une minute à une autre, les ombres et le soleil disparaissent.. et le noir, ces grandes traces noires au sol, si tu t’arrêtes, cinq minutes après il n’y a plus rien ! Tu es désespérée !…

Et quand tu travaillais à Marcillé, tu travaillais des heures sur le sujet ?
Je travaille debout, très concentrée, j’essaye de saisir tout ce que j’aime, tout ce qui me touche et je fonce ! Parce que ça passe vite. Quand tu t’arrêtes dans le mouvement, en cours d’un travail sur un même dessin, parfois c’est bénéfique. Mais parfois aussi tu ne retrouves absolument pas le fil dans lequel tu étais, la même énergie, le même mental. Et ça c’est dur. Finalement, il y a peut-être la temporalité de ces carnets à plis qui se sont déroulés de façon plus longue. Je travaillais plusieurs carnets en même temps, sur la table, et il y avait un calme dans ce travail que je n’ai pas en général.

Et puis, tu travaillais intensément à certains moments de l’année, et il y avait des temps, des mois, de rupture. Comment vivais-tu ces interruptions, ces contraintes ?
Parfois bien parfois mal. Ça peut être intéressant la rupture. Ça t’empêche de te répéter aussi, peut-être. Quand tu reviens à ton travail, tu as un autre sentiment. Je pense que c’est bénéfique. Tu as aussi cette frustration qui te permet de réfléchir.

Et concernant tes influences, les résonances avec ton travail. Quand tu travailles sur ces paysages, in situ, peux-tu te sentir reliée à certains peintres plus particulièrement ?
En fait, ça change tout le temps, selon les périodes et les sujets. J’ai tellement regarder les peintres, la peinture !… Même si l’écriture n’est pas du tout la même, – et je pense à lui parce qu’il vient d’y avoir une grande rétrospective, et aussi parce que je suis sur la question du paysage -, je peux me sentir reliée à un David Hockney.

Pourquoi ?
D’abord, la couleur, l’écriture et l’esprit de recherche. Ce que j’adore chez David Hockney, c’est cette façon qu’il a de peindre le quotidien, de raconter la vie, ses voyages, une nature morte chez lui, ses amis, les portraits de ses amis, des corps qu’il aime… La vie quoi. C’est tellement vivant, et tellement juste ! C’est cette peinture-là qui m’intéresse. Et puis toute sa recherche, changer de médium sans arrêt, s’approprier un médium et trouver des choses avec… Je trouve génial ses paysages à l’ipad. Ipad ou pas ipad, peu importe, c’est sa vision de la couleur et du paysage, du dessin du paysage, le dessin et la couleur liés… c’est fort !