Olivier et montagne, Skyros, 2023

Skyros

peintures 2018 / 2022

Je dessine ou je peins toujours d’après nature, peu importe le sujet, un corps, un arbre, un paysage, une fleur. C’est un choix et une nécessité. Je m’appuie sur le réel qui provoque chez moi des sensations puissantes et un impérieux désir de peindre. Face aux difficultés de traduction du motif qui se trouve devant moi, mon regard s’exacerbe et déclenche un véritable état d’urgence. C’est dans cette confrontation que je parviens à développer une série de peintures dans les variations de lumière et d’ombre et à saisir les métamorphoses de la couleur et du temps. 

Grâce à mes amis d’enfance, j’ai connu Skyros, une île des Sporades à la fois verte et aride sur laquelle un seul village s’accroche. J’en ai fait un terrain de peinture, particulièrement pour ses oliviers plus que centenaires que j’ai placés au cœur de mon travail. Au fil des années mes voyages se sont transformés en expéditions. Chaque été, je rassemble à Paris des médiums transportables, aquarelles japonaises, gouaches, encre de Chine, papiers, sans oublier tables et siège pliables ultra légers.
Au cours de l’été 2018, avec Michèle ma précieuse conductrice anglaise devenue skyriote, j’ai parcouru l’île du nord au sud afin de repérer un paysage où installer mon atelier de plein air. Nous partons très tôt le matin avant le lever du soleil pour bénéficier d’une température encore fraîche. Je dispose sur mes tables aquarelles, tubes de peinture, pinceaux, bouteilles d’eau et papiers. Tout doit être lesté avec des pierres à cause du Meltem, le vent très fort qui souffle en Grèce l’été. C’est une course contre la montre : il n’y a que quelques heures avant que la chaleur ne devienne insupportable et que Michèle ne revienne me chercher. Cette année-là, je me suis intéressée aux rochers, aux griffes de sorcières et aux buissons de thym qui poussent dans le sable et j’ai produit un ensemble de petites peintures. 
En 2019, non loin de la mer dans un lieu nommé Agios Fokas, j’ai trouvé une butte surmontée de trois oliviers expressifs qui m’ont saisie et poussée à entreprendre une série. La même année, entraînée dans la zone déserte du sud par mes amis Éric Ménétrier et Jean Cartier-Bresson qui s’y rendaient pour peindre, j’ai découvert Ari, un vaste plateau ocre rouge planté de cèdres et d’épineux tordus par le vent. Des chèvres et quelques petits chevaux sauvages le traversaient et parfois le pick up d’un berger et c’est dans cet isolement que j’ai travaillé, tant j’étais captée par cet incroyable espace. J’ai développé un ensemble de paysages à la terre orange contrastant avec le bleuté des rochers, le vert sombre des végétaux et l’apparition d’un coin de ciel bleu.  
En 2020, j’ai retrouvé le paysage teinté de lumière jaune paille et les trois oliviers d’Agios Fokas et consacré une série à deux d’entre eux, puissamment enchevêtrés. Deux ans après, quelques incursions dans le champ voisin m’ont fait découvrir d’énormes troncs d’oliviers si impressionnants que j’ai voulu faire le portrait de chacun d’entre eux. 
Plus tard Michèle et moi repérons près de la tombe du poète Rupert Brooke, un coin de terre rouge où se trouve un ensemble sublime de vieux oliviers tordus au feuillage argenté. Le sol est jonché de branches et de pierres qu’il faut déblayer pour avancer et le vent si fort que le travail est une lutte constante mais c’est ici, avec les chèvres pour visiteuses, que je choisis d’installer chaque jour ma table et mon matériel pour peindre la série plus rousse des oliviers de Brooke. 

Agnès Lévy, janvier 2023